
Faut-il faire confiance aux marchés financiers pour protéger la nature ? L'idée défendue aux Etats-Unis depuis les années 1980 fait son chemin avec la création dans une quarantaine de pays de marchés financiers consacrés à la biodiversité.
"Trente-neuf gouvernements nationaux ou régionaux ont mis en place des mécanismes de compensation de la biodiversité et vingt-cinq autres projets sont en cours d'expérimentation à travers le monde", recense le rapport sur "Les marchés de la biodiversité", présenté, mardi 9 mars, par Ecosystem Marketplace, une organisation non gouvernementale (ONG) américaine.
De même qu'il existe des Bourses du carbone permettant de compenser les émissions de gaz à effet de serre responsables du réchauffement climatique en achetant des crédits de CO2, les mécanismes imaginés pour protéger la biodiversité visent à réparer l'impact laissé sur les écosystèmes par les grands ouvrages d'aménagement (routes, activité commerciale, industrielle...) en finançant, via l'achat de crédits, des "actifs naturels" protégés. La compensation est en principe la solution ultime une fois que tout a été mis en oeuvre pour éviter puis réduire au maximum les dégâts environnementaux.
Parcelles de zones humides protégées, de forêts de bois rares, d'habitats de salamandres, de koalas ou d'autres espèces menacées... à la différence du climat, où la seule monnaie d'échange est le CO2, la palette des actifs compensables est vaste et très dépendante des écosystèmes locaux. Aux Etats-Unis, on compte 168 types de crédits, vendus pour la plupart par des banques. Un crédit de zone humide peut valoir selon les Etats entre 2 200 et 480 000 euros, celui de l'habitat de la grenouille à pattes rouges (Rana aurora) peut atteindre 66 000 euros en Californie.
" Actifs pourris"
Le système américain, de loin le plus mature avec le marché australien, avertit très clairement les aménageurs du prix qu'il en coûtera pour consommer des espaces naturels. Plus les écosystèmes sont rares et menacés, plus il est élevé. Tout est loin d'être parfait, avertit Ecosystem Marketplace : ce nouveau compartiment de la finance a aussi ses "actifs pourris" lorsque la compensation est par exemple de médiocre qualité.
Si le rapport décrit un phénomène en réelle effervescence, sa portée reste pour l'instant limitée. Il permet de placer sous protection ou de restaurer 86 000 hectares d'espaces naturels chaque année dans le monde. Il génère des transactions annuelles comprises entre 1,3 milliard d'euros et 2,1 milliards d'euros, quand les montants sur les marchés carbone ont dépassé 120 milliards d'euros en 2008.
Le recours aux marchés reste encore embryonnaire en Europe. En France, CDC-biodiversité, une filiale de la Caisse des dépôts, a lancé, en mai 2009, un projet pilote sur la plaine de la Crau, la seule steppe rase d'Europe. Les premiers crédits devraient être vendus en avril. Mais, reconnaît Philippe Thievent, l'un des architectes du projet, "l'idée reste encore trop neuve. Si quelques grands maîtres d'ouvrage ont intégré la notion de compensation, la plupart espèrent encore pouvoir y échapper". L'obligation de compenser est pourtant inscrite dans la loi de 1976 sur la protection de la nature.
Dans les pays en développement, les grandes ONG anglosaxonnes sont souvent à la manoeuvre pour convaincre les gouvernements de se doter de ces mécanismes de compensation. La Colombie collabore avec The Nature Conservancy (TNC) et le Fonds mondial pour la nature (WWF) pour évaluer l'impact de son développement économique sur la biodiversité et établir une grille des valeurs écologiques servant de base au calcul des compensations.
TNC conseille aussi la Mongolie. En Ouganda, Wildlife Conservation Society (WCS) mène avec l'agence de protection de la nature un projet de compensation volontaire destiné à préserver les ressources halieutiques menacées par l'exploitation pétrolière offshore.
Les multinationales qui exploitent les ressources naturelles sont les premières à être mises à contribution. Ces systèmes naissants ne donnent pas lieu à l'échange de crédits. Les pénalités réclamées à titre de compensation alimentent des fonds qui servent notamment à entretenir des réseaux d'aires protégées.
Comme dans la finance carbone, des projets de compensation volontaire voient aussi le jour. En Malaisie, le gouvernement de la région de Sabah s'est associé à un fonds d'investissement privé pour créer la Malua Biobank : 7 millions d'euros vont être investis dans la restauration de 34 000 hectares de forêts primaires. Des "certificats de conservation" sur une parcelle de 100 mètres carrés et pour une durée de 50 ans seront vendus aux "bio-investisseurs".
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