vendredi 2 avril 2010

Banlieues et médias : "une incompréhension mutuelle"

Top : Pourquoi la télévision n'arrive-t-elle à donner qu'une vision caricaturale de la banlieue ?


Luc Bronner : Je ne crois pas qu'on puisse avoir une position aussi tranchée sur la télé. Il existe tout type de reportages, certains sont très négatifs, d'autres positifs. Le dernier en date, qui fait beaucoup de bruit, sur Tremblay-en-France [Seine-Saint-Denis], montre effectivement une image assez sombre des quartiers populaires.

Mais que dirait-on si la télévision masquait cette partie-là du bilan de Nicolas Sarkozy ? Beaucoup de choses ont été dites sur ce reportage, sauf une : c'est un reportage en "prime time" sur TF1, qui dresse un bilan très critique de la politique du chef de l'Etat en matière de sécurité.

Pour moi, cela a un sens politique. Une chaîne qui a été associée à tort ou à raison à l'ascension de Nicolas Sarkozy dresse aujourd'hui un bilan négatif de son action sur un de ses points forts.

Agnès : Les reportages se sont multipliés depuis les émeutes de 2005. Toutefois, on a l'impression que l'image que les jeunes ont des journalistes ne cesse de se détériorer. Avez-vous ce sentiment?

Oui, c'est vrai. Les médias ont une image désastreuse dans les quartiers sensibles. C'est encore plus vrai pour les télés que pour les radios et la presse écrite. Cela correspond au sentiment qu'ont les habitants, particulièrement les jeunes, d'être stigmatisés en permanence. Mais je crois que se limiter au problème médiatique serait une erreur.

Les médias ne font peut-être pas parfaitement leur travail, c'est vrai, mais c'est toute la société française qui est aujourd'hui en difficulté vis-à-vis de ses quartiers.

Ul : Est-ce que les journalistes vont facilement travailler en banlieue ou est-ce qu'ils considèrent ces zones comme hostiles ? Il y a plusieurs exemples de journalistes agressés, de matériel volé...

Il y a probablement une incompréhension des deux côtés. Très peu de rédactions disposent de correspondants ou de journalistes spécialisés qui ont le temps de créer des contacts, des réseaux, et qui peuvent couvrir les banlieues au quotidien, y compris lorsqu'il n'y a pas d'incidents. Cela participe à la distance entre les médias et les quartiers.

Comme les journalistes connaissent mal ces territoires, ils y vont probablement avec plus de réticence, plus de crainte. C'est malheureusement parfois justifié. Les équipes de télévision, notamment, sont régulièrement agressées, leur matériel volé.

Nadjar : Est-ce que, selon vous, à Tremblay-en-France, la police a vraiment procédé aux arrestations en avance pour éviter que le reportage de TF1 ne vienne gêner son enquête comme cela a été affirmé? Si oui, en quoi cela aurait-il pû concrètement être si génant ? Si non, comment expliquer cette concomitance ? Dans quel but ?

Le reportage de TF1, qui s'appuie sur un travail de longue haleine, montre une réalité déplaisante pour le ministère de l'intérieur. Cela a pu conduire les autorités policières à accélérer leur intervention dans ce quartier. Mais les sources policières et judiciaires expliquent que l'enquête sur le trafic de drogue avait été lancée dès octobre 2009.

Médiatiquement et politiquement, les autorités policières ont probablement voulu montrer qu'elles ne laissaient pas un territoire aux mains des dealers.

Marseillaise : Les médias ne jouent-ils pas un rôle dans les faits de délinquance dans les banlieues en propageant des stéréotypes que les jeunes finissent par accepter et qui deviennent source de fierté ?

Pendant les émeutes de 2005, il avait été reconnu que les médias avaient contribué à une émulation négative entre quartiers. Les émeutiers voulaient gagner la compétition du quartier le plus "chaud" en brûlant plus de voitures que le voisin. C'est incontestable.

Mais en même temps, on voit bien que le problème des violences urbaines dépasse largement la seule question médiatique. Pour preuve, depuis 2005, les télés ne traitent quasiment plus des voitures brûlées. Or leur nombre n'a pas diminué dans les quartiers sensibles. Cela montre bien que les faits de violence urbaine existent en dehors même du traitement médiatique.

C'est la même chose pour les violences sur les policiers : depuis le pic des émeutes de 2005, leur nombre n'est jamais redescendu, alors même que les médias n'en parlent quasiment pas.

Georges : Dans une de vos dernières doubles pages du Monde, sur le "supermarché" du deal à Nanterre, j'ai l'impression que vous vous basez beaucoup sur des rapports de police. Pouvez-vous expliquer la nature de votre collaboration avec la police ?

Effectivement, cette double page a été réalisée à partir du dossier judiciaire constitué après plusieurs mois d'enquête par un juge d'instruction.

Il me permettait de pénétrer un univers totalement fermé à travers des procès-verbaux d'écoutes téléphoniques, d'observations des policiers, de témoignages d'habitants, d'interrogatoires de toxicomanes et des procès-verbaux des personnes poursuivies.

Tout cela permettait de raconter le quotidien d'un trafic de cannabis "banal" avec ses guetteurs, ses vendeurs, ses physionomistes chargés de repérer les policiers et ses "nourrices" chargées de stocker la drogue.

La question sur la source est très importante. Ce dossier m'a été communiqué par un avocat, et non par la police. J'aurais refusé de donner autant de place à ce sujet si ma source avait été policière, parce que cela aurait pu être assimilé à une forme de promotion des actions policières.

En l'occurrence, c'est un avocat d'une des personnes mises en cause qui m'a donné le dossier en m'expliquant qu'il était typique des deals de banlieue.

J'ai fait le tour de la plupart des avocats du dossier, qui m'ont confirmé que ce dossier était particulièrement intéressant de leur point de vue. A la fin de mon enquête, j'ai demandé un rendez-vous à la police des Hauts-de-Seine. Ma demande a été refusée, ils n'ont pas souhaité répondre à mes questions.

Ju : Est-ce qu'il n'y a pas également un problème de vocabulaire ? Faut-il parler de "banlieue", de "cités", de "quartiers sensibles" ? Et les "jeunes" ? Qualifier, c'est stigmatiser... Et pourtant, il y a une réalité... Comment faites-vous ?

La question du vocabulaire est centrale, mais très compliquée du point de vue journalistique. Parler de la banlieue au singulier est une erreur, cela revient à mettre sur le même plan Clichy-sous-Bois et Neuilly-sur-Seine. Le pluriel est déjà plus adapté. Pour ma part, j'utilise indifféremment les termes "populaire", "sensible" et "difficile", qui rendent compte de la situation de ces territoires. Pour information, le terme "sensible", qui est souvent très contesté, figure dans la loi, puisque les zones urbaines sensibles, qui correspondent aux territoires les plus en difficulté, ont été définies par le gouvernement.

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