jeudi 18 mars 2010

La France veut interdire l'urbanisation en zone inondable


Les constructions en zone inondable, c'est terminé. En visite en Charente-Maritime et en Vendée, mercredi 16 mars, Nicolas Sarkozy a prévenu : "Là où il y a risque mortel, personne ne reviendra y habiter." Deux semaines après la tempête Xynthia, qui a fait 53 morts en France le 28 février, et provoqué une polémique sur l'urbanisation effrénée du littoral, le chef de l'Etat a choisi la fermeté. Et plutôt que de construire correctement, là où l'on avait mal urbanisé, de tout arrêter.

Si ces directives sont appliquées à la lettre, des centaines de maisons devront être détruites : 150 maisons sont déjà jugées inhabitables en Charente-Maritime et 563 autres en Vendée. Les chiffres pourraient encore grimper. Le président de la République a demandé une modification de la loi pour permettre aux préfets d'accélérer la mise en oeuvre des plans de prévention des risques d'inondation (PPRI), face au peu d'empressement des municipalités. 46 communes seulement sur les 864 exposées au risque d'inondation par la mer en sont dotées.

Ces PPRI pourraient réserver des surprises : dans les dernières versions à l'étude, 250 maisons à L'Aiguillon-sur-Mer et la majorité des lotissements de La Faute-sur-Mer, les deux communes de Vendée les plus touchées par Xynthia, sont classées en zone rouge, inconstructible. 200 maisons de Charron, en Charente-Maritime, pourraient connaître le même sort.

Combien de quartiers devront ainsi être rasés ? "Il ne s'agit pas de passer d'un excès à l'autre et de condamner la totalité du littoral français", a pris soin de préciser M. Sarkozy. En un an, le changement de ton est pourtant radical. Dans son discours sur le Grand Paris, le 29 avril 2009, le chef de l'Etat appelait ainsi à "sortir du respect passif d'une réglementation de plus en plus pesante" et à "rendre constructibles les zones inondables pour des bâtiments adaptés à l‘environnement et au risque".

Une tempête plus tard, les architectes du Grand Paris à l'origine de cette inspiration, Yves Lion et Roland Castro, n'ont, eux, pas changé d'avis. "Nous savons construire en zone inondable, seulement cela demande de l'attention, or notre époque n'a eu de cesse de s'affranchir de toutes les contraintes", analyse M. Lion. Pour lui, "le comble de la catastrophe, c'est d'avoir imposé n'importe où le modèle de la maison de pêcheur vendéenne, de plain-pied, au nom du pittoresque rural, là où un étage ou des pilotis auraient offert aux habitants la sécurité et une vue sur la mer, et non sur la digue".

Roland Castro va plus loin. "Il y a en France une pensée obsessionnelle du risque : à chaque nouveau problème, on invente un règlement, on élargit les PPRI, conçus pour permettre aux préfets de dormir tranquilles." C'est en fonction de la qualité des projets que l'on doit délivrer ou non des permis, estime M. Castro, et non "de pointillés sur une carte".

L'urbanisation des Pays-Bas, largement situés sous le niveau de la mer, ou la reconstruction de La Nouvelle-Orléans après l'ouragan Katrina donnent un aperçu des solutions possibles : maisons sur pilotis, pavillons à étage sur rez-de-chaussée inondable, habitations posées sur des caissons flottants semblables à des pontons, matériaux faciles à ravaler après le passage de l'eau, bitume poreux laissant l'eau s'infiltrer dans le sol...

Les Américains sont allés jusqu'à théoriser deux modèles de construction : le "wet floodproofing", qui consiste à concevoir la maison de sorte qu'elle supporte d'être inondée, et le "dry floodproofing", qui s'attache à la rendre étanche. Autant de choix plus coûteux que des pavillons standards, et qui supposent d'accepter l'éventualité d'une inondation au lieu de prétendre écarter le danger. Bref, de passer d'un culte de la sécurité à une culture du risque.

"On n'est plus complètement dans l'approche sécuritaire, les documents de l'Etat intègrent la culture du risque, mais ses services la pratiquent de manière incohérente", estime Helga Scarwell, directrice de l'UFR de géographie et d'aménagement à l'université Lille-I. Cette spécialiste de l'urbanisation en zone inondable souligne que "les permis de construire pour des maisons sur pilotis sont refusés une fois sur deux".

Pour la chercheuse, "l'Etat pratique une culture du risque en vase clos : c'est une culture de la négociation entre les élus locaux et les services du préfet, sous la pression du développement économique et démographique. Le message est brouillé, jamais accessible au public. Il faudrait une concertation transparente pour pouvoir aménager avec le risque".

Le jeu en vaut-il la chandelle ? Pour le réseau France nature environnement (FNE), la réponse est non. "Face à la montée du niveau de la mer, on ne pourra pas se battre partout, soupire Benoît Hartmann, responsable mer et littoral pour FNE. Les pilotis ne règlent pas tout, et développer les digues sur l'ensemble du littoral n'est financièrement pas faisable. Il faut raisonner en termes de coût et de bénéfice, choisir de rester là où l'intérêt pour la collectivité le justifie et ailleurs, accepter de céder du terrain, avoir le courage de détruire les zones construites." Plier bagage, une autre manière de s'adapter au risque climatique.

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