jeudi 11 mars 2010
Madrid n’oublie pas
Aujourd’hui, différentes commémorations officielles auront lieu en mémoire du drame de 2004. Les citoyens anonymes seront aussi au rendez-vous sur les lieux du deuil collectif, comme le désormais célèbre monument de la gare d’Atocha
Mardi dernier, le Conseil Supérieur de Recherche Scientifique (le CSIC, Consejo Superior de Investigaciones Cientificas) avait réuni la presse pour présenter les résultats de son projet intitulé "Les archives du deuil". Un énorme travail de collecte de matériaux en provenance des gares de Atocha, El Pozo y Santa Eugenia. Poèmes, dessins, messages en tous genres.
Six ans après, l’atmosphère est encore douloureuse et les questions fusent toujours.
Les terroristes ont été jugés et condamnés, le gouvernement a changé. Mais les proches des 191 morts ne comprennent toujours pas.
Cristina Sanchez-Carrez, chercheuse du CSIC et coordinatrice du projet, explique : "Lorsque l’on raconte l’histoire des attentats, les images qu’utilisent les médias sont celles des élites, des commissions d’investigations ou du jugement. Mais ce n’est qu’une part de ce qui s’est passé". Il fallait donc se réapproprier la manifestation populaire, tenter d’offrir une analyse anthropologique des réponses à ce traumatisme collectif. Au total, ce ne sont pas moins de 70.000 documents qui ont été étudiés : photos, affiches, objets et de nombreux courriers électroniques (très exactement 58.732 !).
Une nouvelle forme de deuil
Bien qu’il ait toujours existé des formes de deuil collectif, aujourd’hui l’espace public est réinvesti de manière improvisée et provisoire. Dans les drames comme celui du 11-M, les citoyens viennent manifester leur douleur et demander, en même temps, des explications aux autorités. On dépose des voiles, des bougies, des fleurs, des messages… qui seront captés et diffusés par les caméras du monde entier. L’identification aux victimes est très forte, de même que le sentiment d’injustice. Le "cela aurait pu être moi" se joint au "il faut faire quelque chose" pour générer une forte potentialité d’action. Les sociologues appellent cela l’expression "performative" : le fait de concrétiser une chose en l’exprimant, comme le "oui, je le veux" du mariage par exemple.
7.000 messages en 2 jours
Ainsi, si l’on continue d’aller à l’église pour se recueillir, ce qu’on appelle le "deuil virtuel" est aujourd’hui commun. "L’espacio de palabras" de la gare Atocha a été inauguré trois ans après les attentats. Les mois suivants, il a reçu environ 550.000 visites, puis 440.000 en 2008. L’écran électronique a lui emmagasiné 7.000 messages dans les deux jours qui a suivi sa mise en fonction, notamment grâce au site www.mascercanos.com, qui permet aux plus éloignés de laisser leur empreinte sur les lieux du drame. L’énorme cube transparent et son sanctuaire électronique isolé du bruit extérieur continuent d’attirer les hommages et les curieux du monde entier.
A l’opposé du 11 septembre : le message de paix
Un système de contrôle a été mis en place pour éviter que des textes offensifs ne s’affichent sur le "video wall". Pourtant, il est possible que cela ait été superflu. En effet, les chercheurs du CSIC, qui ont collaboré avec des homologues américains, ont constaté de grandes différences de réaction chez les citoyens. Le patriotisme, la peur du terrorisme et de l’ennemi commun dominent aux Etats-Unis, alors que les Madrilènes ont majoritairement exprimé leur volonté de paix et de construction d’un monde meilleur. L’unité du deuil, c’était la ville cosmopolite et non la nation espagnole. De fait : le matin des attentats, il y avait dans le train de nombreux travailleurs roumains, marocains… Un ami de l’un d’eux a même laissé en offrande ses papiers de régularisation sur les lieux de mémoires.
Tous ces documents, ces témoignages voués à la disparition sont donc bien conservés six ans après les journées de chaos. On peut parier qu’aujourd’hui, l’hommage de la rue sera lui aussi intact.
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